« Le regard et la parole, deux puissants outils de transformation du monde »
Shalom Alekhem,
Vous est-il déjà arrivé de contempler un magnifique tableau aux mille et une couleurs, dépeignant la beauté de la nature, pleine de nuances et d’harmonie, avec ses forêts, ses montagnes, sous un soleil rayonnant et son ciel bleu…
Un vrai chef d’œuvre direz-vous !
Pourtant, alors qu'une personne standard apprécierait la beauté d’un tel portrait dans sa globalité, une personne plus observatrice décèlerait quelques imperfections sans pour autant déprécier l’œuvre de l’artiste, tandis qu'une autre plutôt perfectionniste pourrait à l’extrême en venir à buter sur le moindre défaut jusqu’à ne voir que celui-ci !
Cette métaphore puissante illustre tout d’abord le phénomène de la « critique » qui dépend de l’état d’esprit de chacun et sa manière d’apprécier les choses, comme si l’œuvre agissait à l’image d’un miroir reflétant notre manière de penser et ce que nous sommes intérieurement. Ensuite, elle nous invite surtout à savoir prendre du recul dans la vie pour ne pas laisser les « petits défauts » occulter « la beauté et la grandeur d’un tout », en gardant notamment à l’esprit que les imperfections ou la beauté perçue ne sont finalement que le reflet de nos propres émotions, croyances ou attentes.
Le vrai challenge pour l’observateur étant de pouvoir appréhender la différence entre une « vision critique constructive » comme une capacité d’analyse et de distinction qui n’estomperait aucunement l’éclat des couleurs de la Vie, et une « vision critique réduite » qui quant à elle, viendrait le plonger dans l’obscurité.
Et ce, en particulier dans les relations humaines où chacun est indéniablement amené à observer l’autre, et principalement au sein d'un couple où la femme est même désignée par « une aide face à lui », c'est à dire tantôt « une aide » qui va dans son sens, tantôt « face à lui » pour le défier ou s’opposer à lui - suivant les fluctuations de leur complicité, confiance mutuelle et investissement à bâtir et protéger leur relation de couple !
Concernant une autre caractéristique de la vision, vous est-il déjà arrivé d'être comme touché par le regard d'une personne qui vous fixait de près ou de loin, jusqu'à vous tourner vers elle et croiser son regard ?
En réalité, Rabbi Nahman de Breslev dans la Torah 19 du Likoutei Moharan nous enseigne que les yeux sont à la fois des capteurs et des émetteurs, qui agissent comme un vecteur d'énergie pour établir un lien spirituel de communication qui transcende les mots ou les actions, et nombreux sont les cas qui viennent démontrer cela.
Dans leur dimension d’émetteur, la Hassidout nous révèle par exemple que la lumière qui émane des yeux d'un Tsadik (et dans une certaine mesure de toute âme-juive) peut toucher l'âme de son prochain, y compris de loin sans interaction physique... jusqu'à pouvoir l'élever spirituellement et l'influencer. Cependant, partant du principe que toute force positive dispose de son pendant dans les forces négatives, l’observateur est donc invité à orienter son regard toujours du bon côté, ou à le rectifier le cas échéant !
Dans leur dimension de capteur, lorsqu'un homme voit par exemple une Sota (femme accusée d'adultère) qui subit une procédure particulière au Beth Hamikdash, il ne peut ignorer sa propre connexion ainsi établie par la vision de cette scène face à lui, et est invité à réfléchir à la manière dont des comportements déviants pourraient germer dans ses pensées, paroles ou actions. Entre autres, en commençant par se priver de Vin et à s'éloigner de l'ivresse pour disposer de plus de maîtrise de soi, comme nous l'enseigne le Talmud (Sota 2A), car tout ce que voit une personne finit par l'influencer profondément.
Aussi, si déjà le regard permet d’établir une connexion entre deux personnes jusqu'à leur causer des impacts divers et variés, combien l’est plus encore la parole en tant qu'outil de communication, de réparation et de transformation. Et on pourrait alors s’interroger sur la place de la critique que nous pourrions porter sur notre prochain, et comment nous devrions composer avec celle-ci ?
A cela, le Pirkei Avot {1:6} recommande « Fais toi un maitre, acquiers toi un ami, et juge chaque personne du bon côté » sans pour autant venir interdire de « juger autrui », puisque que le discernement et l’évaluation font partie de la nature humaine, et que ces facultés sont nécessaires pour vivre en société.
Simplement, au préalable « fais toi un maître » pour étudier et réfléchir sur ce qui est Permis ou Interdit, Bien ou Mal. Ensuite, « acquiers toi un ami » pour appréhender l’échange et la confrontation de vos opinions, car un véritable ami joue aussi le rôle de miroir dans le sens où il reflète vos vertus et vos défauts, vous aidant ainsi à mieux se connaitre et à se rectifier. Et seulement après, vient l'injonction « juge chaque personne du bon côté » comme une invitation à orienter notre jugement vers la bienveillance et la compréhension plutôt que vers la critique négative et hâtive.
Bien entendu, il ne s’agit en aucun cas de fermer les yeux sur le négatif en niant la réalité, mais plutôt d’éviter un jugement brut et dévalorisant, ô combien parfois « destructeur » vis-à-vis de personnes orgueilleuses et violentes, ou susceptibles et fragiles en particulier chez les enfants !
Car oui, la parole est une « arme spirituelle » mise exclusivement à la disposition de l’Homme qui se doit d’apprendre à la manier avec intelligence et sagesse, sachant qu’il n’est pas donné à tous d’avoir la capacité intellectuelle, la maturité et la Emouna requise pour entendre et peser une remarque d’autrui tout en l'interprétant comme un message envoyé par la Providence Divine.
En effet, « l’intellect » et « la parole » sont deux facultés indissociables pour être pleinement exploitées, car elles se nourrissent et se renforcent mutuellement chez l'homme qui en dispose, et le distinguent de l'animal qui lui en est dépourvu, ainsi que nous l’explique Rashi dans Bereshit {2:7} : l’homme est appelé « Nefesh ’Haya » (un être-vivant) pour souligner sa capacité à parler ! La parole de l'homme étant « créatrice » à l'image de celle d'HM par laquelle le monde fut créé, et représentant un outil sacré qui permet de résoudre les tensions, d’exprimer ses émotions et de construire des ponts entre les individus.
Mais lorsque cet outil est défaillant ou mal utilisé, l’homme risque de retomber dans ses instincts primaires, au niveau animal, en laissant place à la violence physique comme une expression d’un manque de maîtrise ou d’une incapacité à communiquer de manière rationnelle et spirituelle.
C’est pourquoi, à notre époque plus que jamais où nous nous trouvons encore dans l’exil de la haine gratuite, nos Sages insistent sur l’importance du Tikoun HaDibour (réparation du langage), car la parole doit être purifiée pour être alignée avec la Sagesse Divine (Dà’at) afin de pourvoir réparer tous les maux par l’alignement des bons mots, et hâter la grande délivrance avec la venue de Machia’h.
Kol touv
Yoel AMAR
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