« Bienvenue à l’Université avec ses examens le Shabbat & Yom Tov ! »

Le monde du High-tech en France m’a offert l’opportunité de rencontrer nombre de collègues, partenaires ou clients, assez discrets sur leur origine juive mais tout de même fiers de l’être, des personnes brillantes intellectuellement disposant en général d’un haut niveau d’étude, et qui pourtant ont très vite sombré dans l’assimilation au monde non-juif car pour la majorité d’entre eux, leurs parents leur avaient offert un cadre de vie plutôt « traditionaliste » voir « laïc » à la maison et/ou à l’école, sans se soucier de leur devoir de parent-éducateur juif de transmettre à leurs enfants un « judaïsme authentique » et non pas un « judaïsme creux », afin de disposer des « valeurs & forces nécessaires » pour préserver précieusement leur « identité juive » et surmonter les difficultés de l’exil qui nous éprouvent au quotidien.

Cela dit, l’expérience a clairement démontré que l’éducation juive à la maison et/ou à l’école juive n’est pas pour autant une « garantie suffisante » pour que nos enfants ne puissent connaître de chutes spirituelles majeures une fois confrontés au monde extérieur, notamment à l’Université et plus tard au travail – Et l’histoire ci-dessous de mon expérience à l’Université Paris VI en est une parfaite illustration. A bon entendeur pour tout parent-éducateur et la jeunesse Israélite de France.

Le passage du cadre scolaire (primaire/collège/lycée) sain et chaleureux au sein d’écoles privées juives orthodoxes vers un cadre Universitaire pluriculturel non-juif, mixte et loin d'être conforme aux valeurs juives, constitue en réalité une « transition choc » de « l’apprentissage en milieu protégé » à « la pratique sur le terrain en milieu hostile », mettant ainsi la jeunesse Juive à rude épreuve sur toutes les valeurs fondamentales inculquées à la maison et/ou à l’école juive dans le cadre de sa construction personnelle et identitaire, en étant exposée au fléau grandissant de l’assimilation en particulier à cette étape de la vie de la post-adolescence, pleine de vigueur, d’ambition, de sensibilité, de crainte, de curiosité, de rêve, d’attirance et de désir... qu’il faut apprendre au plus tôt « à appréhender et à canaliser » afin de pouvoir affirmer ses choix et les défendre avec conviction lorsque ceux-ci sont « conformes à ce qu’HM nous engage à accomplir ici bas », pour accéder ainsi à « la réalisation de soi » et donner un vrai sens à sa vie.

Fraîchement arrivé en 1ere année de Faculté avec mes amis de Lycée, nos cours étaient dispensés dans 3 amphithéâtres regroupant quelques 1500 étudiants, et les Travaux Dirigés étaient organisés dans des classes pluriculturelles d’une trentaine de personnes où nous pouvions commencer à tisser de nouveaux liens de camaraderie. Cependant, nos moments privilégiés les plus chaleureux se vivaient au local de l’UEJF où l’on pouvait se détendre dans une ambiance familiale, manger Casher, prier et mettre les Tefillin, prendre conseil et s’entraider si besoin, et étendre notre réseau de connaissances au sein des nôtres.

A ce stade, même si nombre d’entre nous avaient précédemment renoncé à intégrer de grandes écoles d’Ingénieurs pour cause de « concours le Shabbat », nous étions enfin heureux d’imaginer pouvoir garder facilement notre pratique juive à l’Université Paris VI, en adaptant chacun nos repères et nos emplois du temps pour devenir de brillants Ingénieurs. En outre, les cours en présentiel n’étant pas obligatoires, nos nouveaux camarades non-juifs étaient ravis de pouvoir nous aider en nous transmettant leurs notes de cours lorsque nous nous absentions les jours de Yom Tov.

Mais ce sentiment de satisfaction ne fut que de courte durée !

Très vite, nous découvrîmes que pour chaque matière notée globalement sur 100 points, des contrôles continus notés sur 20% (ou plus) de la note globale tombaient souvent Shabbat ou Yom Tov, et il nous était quasi-impossible de trouver une solution alternative auprès du Professeur principal qui nous recommandait alors de décrocher une note minimum de 50 points à l’examen pour réussir dans sa matière, tout en nous faisant la faveur de nous mettre une note de « 0 » en contrôle continue (dû à nos absences) qui ne sera pas éliminatoire.

Autant vous dire que nous grincions déjà des dents !

D’ailleurs, l’un des plus brillants d’entre nous doté d’un esprit vif, comprit que l’Université n’offrait pas un cadre approprié à son propre « épanouissement personnel » et décida aussitôt de faire ses valises pour l’Angleterre afin d’y étudier à la Yeshiva, de fonder rapidement une belle et grande famille B’H selon la loi de Moïse et d’Israël, et devint plus tard un Roch Collel brillant à Paris 19e. Quant à nous autres, nous décidâmes de poursuivre notre Cursus Universitaire et de relever ensemble ce nouveau Challenge en composant au mieux avec notre pratique juive.

Alors que nous étions dans cet esprit d’unité et de sacrifice, une autre difficulté se fit jour en milieu d’année. A savoir, que l’examen de notre « matière principale » (Mathématique) tombait un Shabbat !

Catastrophés à l’annonce de cette nouvelle et face à l’impuissance du Consistoire que nous avions alerté, nous gardions encore l’espoir de trouver une issue en programmant en urgence une rencontre avec le Doyen de l’Université afin de solliciter son aide et de déplacer cette date d’examen à un autre jour que Shabbat.

Un extraordinaire mouvement de solidarité vit le jour, car au petit nombre de « juifs pratiquants » que nous étions, s’ajouta une cinquantaine d’étudiants « juifs traditionnalistes » ou « juifs tout-court » ainsi que des « camarades non-juifs » qui souhaitaient se joindre à nous pour donner du poids à notre requête auprès de la Direction.

Arrivés au bureau du Doyen étonné par l’insistance de notre groupe de voir cette date d’examen déplacée à un autre jour que Shabbat, celui-ci répliqua : « Mais je ne comprends pas, vous n’avez qu’à demander une dérogation à votre Rabbin pour faire cet examen le Shabbat ». Ce à quoi nous répondîmes : « Mr le Doyen, il n’existe pas chez nous de dérogation auprès d’un Rabbin pour enfreindre les commandements de la Torah, et voler, mentir ou tuer ?! ». A ces propos il rétorqua qu’il n’avait jamais attendu de nous « de voler, de mentir, ou de tuer !? ». Il ajouta alors : « Nous sommes dans un pays laïc. Vous n’avez qu’à choisir entre votre avenir ou votre Shabbat ! Et je vous recommande en tant que Doyen, de venir à cet examen le Shabbat. Quant aux irréductibles qui ne voudront pas venir, je ferai au mieux pour que les examens de rattrapage au mois de Septembre ne tombent pas Shabbat ou Yom Tov ».

A l’issue de ce RDV, nous remerciâmes tous nos camarades qui étaient venus soutenir notre cause pour l’honneur du Shabbat, mais nous étions désormais paniqués à l’idée de voir notre avenir d’étudiant compromis. Comment pourrions-nous devenir un jour Ingénieur dans ces conditions ?

Les jours précédant cet examen nous ne cessions de cogiter. Certains étaient d’avis de ne faire aucune concession au respect du Shabbat, alors que d’autres étaient plus mitigés jusqu’à suggérer éventuellement de limiter les transgressions de ce Shabbat, en réservant un hôtel proche de l’Université, et en faisant porter ses affaires par un camarade non-juif jusqu’à la Salle d’examen. Et ensuite, ils se limiteraient à « écrire » pour l’examen ?! Ce qui est totalement proscrit.

A ma connaissance, nous n’étions en définitive que « 2 étudiants juifs » déterminés à garder ce Shabbat, en envisageant de composer à cet examen de Mathématique en rattrapage au mois de Septembre, tout en se concentrant sur nos révisions des autres matières.

Durant ce fameux jour de Shabbat, de nombreuses pensées m’assaillaient et je m’efforçais de les écarter de mon esprit, et je ne peux d’ailleurs aujourd’hui que regretter de n’avoir pas eu assez de Confiance en la Providence pour danser de joie et chanter mon amour pour HM, d’avoir fait le bon choix qu’Il attendait de moi précisément dans cette épreuve du Shabbat. Alors oui, je racontais encore et encore à ma famille la réplique du Doyen de l’Université qui a fait plier quelques uns de mes amis, et rappelais ma ferme décision de donner la priorité à mon Shabbat, car oui c’est le bon choix à faire d’après la Torah. Mais il y’avait toujours ce « Mais » ! Mais comment ferai-je pour devenir Ingénieur si déjà j’accumule dés la 1ère année des « 0 » en Contrôle Continu ainsi que des « 0 » aux examens que je devrais repasser en Septembre en sacrifiant mes vacances d’été !? Ce à quoi, ma famille répliquait : « ne t’inquiètes pas, HM est Grand, et tu verras bien pour la suite » !

Quant à nos amis qui malheureusement, ne purent pas surmonter cette épreuve dont « dépendait leur avenir » aux dires du Doyen de l’Université, cette situation leur était pénible et ils étaient envahis par d’étranges sentiments en tenant leur stylo à la main pour la 1ère fois de leur vie un Shabbat, face à leur copie d’examen.

Puis très vite, même les quelques 1500 étudiants qui composaient à cet examen principal de Mathématiques ce Shabbat là, frémirent et commencèrent à grogner à la vue de l’énoncé. Il semblait incompréhensible et il s’agissait en fait d’une leçon particulièrement complexe qui fût négligée aussi bien durant les cours en amphithéâtre que dans les Travaux Dirigés ! Si bien que pratiquement aucun étudiant ne réussit à décrocher la moyenne à cet examen, et ils durent quasiment tous le repasser en Septembre.

Au vu de cette situation incroyable, quelques uns de nos camarades juifs percutèrent rapidement et déposèrent aussitôt leur stylo, en laissant en plan toutes leurs affaires en Salle d’examen, pour retourner à leur hôtel plein de regrets et tenter d’honorer tant bien que mal ce saint jour de Shabbat.

Finalement, Juifs et non-juifs parmi nos amis voyaient dans cette coïncidence un signe Providentiel qui venait nous donner à tous « une sacrée leçon de vie ». Dès lors, nos amis juifs qui avaient malheureusement failli à cette épreuve du Shabbat, s’étaient engagés à devenir plus forts pour ne plus se faire avoir de la sorte, en se joignant pour toujours aux « 2 juifs irréductibles » qui avaient tout gagné à garder ce Shabbat. D’ailleurs, l’absence planifiée à cet examen de Mathématique le Shabbat nous permit de réussir aisément tous les autres examens à la préparation desquels nous avions pu consacrer plus de temps. Quant à l’examen de Mathématique du mois Septembre où nous retrouvions finalement tous nos camarades, nous étions tous les deux positionnés dans le Top 10 des meilleures notes.

A l’issue des 4 années d’études à l’Université Paris VI avec les mêmes contraintes, nous étions certes tous diplômés de DEUG, Licence et Maitrise, mais avions tellement accumulé de « 0 » en contrôle continu et aux examens grâce aux Shabbat et Yom Tov, que nous devions postuler dans toutes les Universités de France pour réussir à intégrer une 5e année de DESS, car la sélection s’effectuait sur dossier !

Heureusement, nous avions tous été acceptés quelque part aux quatre coins de la France bien loin de la capitale où nous habitions en famille, et de surcroît en devant se séparer désormais.

Alors que presque toutes les inscriptions en 5e année étaient bouclées, et que nous n’avions même pas osé postuler à une 5e année de notre propre Université puisqu’elle délivrait le meilleur DESS Téléinformatique de France reconnu mondialement, je proposais tout de même à tous mes camarades juifs d’aller ensemble voir la « secrétaire de notre Section à Paris VI » que nous avions tant embêté avec nos soucis perso d’absences les Shabbat et Yom Tov, ne serait-ce que pour la remercier, et aussi pour lui déposer notre candidature à ce fameux DESS de PARIS VI. Après tout, « Qui ne tente rien, n’a rien » leur répliquai-je !

La secrétaire affichait déjà un large sourire à notre arrivée en disant : « comment allez-vous mes grands ? Que puis-je pour vous encore ? ». Ce à quoi nous répondîmes en la remerciant pour son aide et sa patience durant ces 4 années, que nous souhaitions tenter notre chance en laissant chacun un dossier d’inscription au DESS de PARIS VI.

Elle éclata aussitôt de rire en soulignant qu’il était bien trop tard pour pouvoir s’y inscrire, d’autant plus qu’il y’avait plus de 2000 dossiers pour seulement 40 places ! Néanmoins, « vous avez bien fait de passer me voir aujourd’hui, car nous venons d’ouvrir juste cette année et avec beaucoup de retard, une nouvelle classe en formation en apprentissage qui délivre le même DESS. Cependant, il vous faudra trouver un contrat en entreprise. Et à ce jour, il n’y a qu’une vingtaine inscriptions pour 40 places car peu d’étudiants sont au courant de cette nouvelle formation ».

Ainsi, de providence en providence, nous avons chacun pu trouver rapidement un contrat en entreprise de manière assez incroyable, et même eu pour certains des parcours professionnels hors du commun… Tout cela avec ce DESS inespéré de l’Université Paris VI et de surcroit « Casher » grâce au Shabbat que nous avions précieusement gardé, et qui a été une source de bénédictions.

Le comble de l’histoire est d’avoir réalisé de nos propres yeux que cette classe en formation en apprentissage avait été ouverte « spécialement pour nous », puisqu’elle ne tint en définitive que 3 années consécutives avant de fermer, et qu’elle profita de la même manière aux étudiants juifs des promotions suivantes qui avaient suivi nos pas, en restant fidèles au saint jour du Shabbat. Merci HM !

Kol touv
Yoel AMAR